Dernier regain de liberté

Publié le par Anissartiste

Dernier regain de liberté 08/10/12

Sean Penn / Into The Wild / 2007

 

Il faut le dire, on est seul. Je croyais que l’amour supprimerait la solitude, mais j’ai eu tort. Rien ne supprime la solitude.

Ici dans cette chambre et quatre murs, rien de plus, rien de moins, déjà tant, tellement rien. Juste la nuit, et moi.

Pourquoi vit-on,  je ne sais pas. Pourquoi l’existence, allez savoir. Je ne sais que ma solitude. C’est déjà bien assez. Combien savent ?

Je suis coincée dans le doute mais ai-je un jour seulement su ce qu’il fallait faire.

Je ne crois plus ni en l’amour

Ni en la liberté.

Je crois uniquement en la solitude.

Seule dans cette chambre fermée, et les murs, dociles. Ma solitude est fidèle.
Il y a la musique, il y a mes mots.

Et ma turpitude.

La nuit m’est inutile, comme l’art l’est au monde.

Tout le monde s’en fout.

Et tous, de tout, ce qui a un sens. Et moi au milieu, je suis condamnée

A l’ennui

Et l’insatisfaction.

Peut-être éternels ...

Je pourrais écrire des chansons, dire des je t’aime, être optimiste, simuler une sorte de joie, somme toute, comme tous.

Mais je ne peux pas. Je ne sais pas, je crois.

Je ne crois pas en grand-chose.

Bien sûr, il y a Dieu.

Mais il y a toujours Dieu.

Parlons de choses tangibles. Parlons de choses incertaines.

Parlons de choses insensées. Car ici, rien n’a de sens. Et tenons Dieu en dehors de ça.

Car quand il n’y a plus d’espoir ici-bas, alors Dieu est trop loin.

Parlons de la vie.

Je suis seule et un peu du genre à cultiver les états de pure détresse, je sais.
Je n’aime pas beaucoup le monde, et pas beaucoup l’humain, l’un parce qu’il contient l’autre, l’autre parce qu’il n’est pas digne de confiance. Qu’il est inconstant, mauvais et malpropre. Inintéressant, bête et inconscient. Vous me direz, j’en fais partie aussi, du monde, de l’humanité. Je ne nierai pas.

Je n’apprécie pas totalement la vie que je mène aussi. J’ai toujours aspiré à autre, peut-être sans raison véritable et justifiée. Dans le fond, je suis même un peu gâtée. Et pourtant. L’Homme est ingrat. Beaucoup de questions se bousculent.

Et puis, je me reconnais bien un autre défaut, je n’ai pas encore cessé d’attendre la gloire. A tort je le sais, mais mieux vaut au moins se dire qu’il n’est pas trop tard.

Alors on vit.

Tous se créent une histoire.  Se cherchent des trucs solides à quoi se raccrocher, des trucs rassurants, de préférence assez plaisants, dont ils pourront se vanter, pour faire oublier, également. Qu’ils sont piégés comme des bêtes à tuer. Et se donner de l’intérêt, à eux, et à leurs vies minuscules. Des êtres sordides. Pimentent leur existence si commune en s'inventant de l'extraordinaire, enjolivent, ravivent leur fadesse en criant "à la vie". Des êtres morbides.

Je m’ennuie. Mais je n’ai pas vraiment le choix.

Si je pouvais Si j’avais pu je ne serais sûrement pas restée là chaque fois, sur cette chaise, à sentir le manque comme on sent la mort et à ne faire qu’une avec l’attente. L’attente du mieux, l’attente du désiré, quoi exactement, je dois dire qu’aujourd’hui, je l’ai un peu oublié, mais il y a bien quelque chose, je le sais. Un truc plutôt dingue. Et avant, je ne le connaissais que trop, pour l’avoir vécu. Ce qui m’annihilait. Mais me maintenait en vie. J’aimais ça.

Avant, quand j’avais des rêves.

J’ai cessé de rêver. Je vis dans l’acceptation désormais, pour combien de temps je ne sais pas, car l’attente est toujours là.

Il n’y a personne, en réalité. On est seul, seul avec Dieu, Dieu qui n’est pas là.

On est seul et c’est comme ça. Ne me demandez pas de parler de choses concrètes. Car moi, j’aime écrire sur le ressenti, je suis très psychologique dans le fond, très spirituelle, même si tous les jours, je fais semblant de m’intéresser à l’existence

Médiocre.

Simplement, je m’intéresse (naturellement) à des choses différentes.

Vous m’en verrez désolée.

Et j’apprécie mon écriture un semblant dramatique et quelque peu atypique.

Je ne crois pas en l’amitié, je ne crois pas en la politique, je ne crois plus aux valeurs humaines, car elles n’existeraient que si elles étaient un tant soit peu appliquées, ce qui n’est pas le cas. Ce dans toutes sociétés.

Alors elles n’existent pas. Mais ce n’est pas grave, car le monde finira tôt ou tard par disparaître, et enfin l’humain comprendra.

Et si je n’écrivais pas, je ferais quoi. Je ne veux parler à personne, je ne veux pas rire ni voyager, je ne veux rien, car il n’y a plus rien à espérer. Tout est dérisoire. Alors ne glorifions pas l’illusion, nous sommes de simples passagers. Restons humbles…

Je ne veux pas même aimer, c'est inutile. A présent  je sais, que je suis condamnée, à l’insatisfaction et au désarroi, oui, c’est ça, à la déception. Et pas seulement moi. L’humanité. Vouée. Au tourment.

Mais moi  plus, car c’est comme ça. Car je suis plus éveillée, dirait-on, sans dédain, sans victoire. En toute indifférence. C’est vraiment ainsi.

J’ai appris que toute joie n’est que temporaire, et que finalement, même la beauté s’en va. Elle est bien dans les yeux de celui qui regarde, nulle part ailleurs. C’est une question de perception, comme l’amour. Nous sommes des êtres indignes.

Une seule chose reste, et belle, avec les montagnes, c’est la musique, et tout ce qu’il peut y avoir de poétique. Rien d’autre ne tient tête au temps. Tout se déchire et s’efface, tout se casse, à l’adieu et il ne reste rien. La vie est un vent dévastateur qui ne laisse rien en place.

Il n’y a rien à attendre, rien à espérer, qui n’est autre que l’éphémère.

Il arrivera bien le jour où cette réalité ne m’atteindra plus, mais pour l’instant, je sens toujours ce poids dans ma poitrine, je sens toujours ce désir affairé de m’envoler, le tiraillement de ce qui n’est plus que souvenirs et ce sentiment de ne pas savoir où se trouve l’issue.

De ne pas savoir même s’il en existe une. Ou si c’est foutu, depuis toujours.

Pourquoi mon âme est-elle telle, pourquoi ce déchirement, pourquoi cette destruction permanente, pourquoi avoir choisi le mal et le ardu, quand le bon et le facile ont toujours été à proximité de main. Pourquoi cette écorchure... Incompréhensible et douloureuse...

Pourquoi allez-savoir, mais peut-on quelque chose au destin.

J’écoute un peu de jazz et j’écris entre mes murs, dites-moi, si j’étais dans d’autres conditions, si la contrainte n’existait pas, si j’avais le choix, si j’avais quitté la société, ne serais-je pas en train de m’adonner à la même activité, enfermée entre les murs sombres de ma cabane dans la vallée, à écrire sur ma vieille machine, à lueur de lune, dépouillant quelque paquet d’américaines sur un fond de piano sarcastique et majestueux, pathétique et harmonieux, dépouillant le monde de sa crédibilité, dépouillant l'Homme de sa légitimité?

A écrire les mêmes mots.

Et laisser le téléphone sonner, à en oublier qu’il en existe d’autres, sur terre. Humains.

Si je ne deviens pas écrivaine, ma vie n’aura été qu’une aventure en peine, sans apogée ni magnanimité, ce que je ne me souhaite pas. Je veux bien garder un peu d’espoir pour cela, du moins de l’envie, c’est bien ce qui maintient le monde en vie. L’envie.

Je suis peut-être folle, puisque vous ne comprenez pas, mais quel être normal sait créer du sensé ?

De la beauté ? Quel être banal sait susciter de l’intérêt ?

De plus, quand tout est clair intérieurement, qu’a–t-on à réclamer qui procure assez de haine et de hargne et de désir et de tiraillement, de crainte et sensibilité, pour être un artiste ?

Que ces gens-là, ceux qui ne comprennent pas, s’éloignent de moi, outre m’ennuyer profondément, ils m’horripilent, parfois m’indiffèrent, mais jamais ne me satisferont.

Je me lasse de mon prochain une fois que je l’ai compris, c’est vrai, une fois qu’il m’est aussi limpide que l’eau claire, je m’en désintéresse, mais j’attends toujours qu’il m’ait vraiment déçue ou trahie pour lui dire réellement adieu. C’est mon côté fidèle.

Entre les mailles serrées de mon imposante réalité, j’écris et j’attends la gloire en secret.

Mais soyons honnêtes, qui aujourd’hui publierait ce genre de prose ? Je crois que c’est aussi une question d’époque, les Hommes évoluent au fil de l’ère, et leur façon de penser également, leur façon de voir les choses, leurs centres d’intérêt, leur perception.

Nous traversons une époque pourrie. En fait, le monde court de toute évidence à sa perte. Mais ce n’est pas cela le plus triste. Le plus triste, c’est de le vivre, et de le voir, quand tous les autres ont les yeux fermés, ou pire, en sont heureux : ils en sont les acteurs. Il s’agit de leur œuvre. Moi, je ne choisis rien. Je m’enfuis. Ou du moins c’est ce que je voudrais, mais ils finissent toujours par vous rattraper par les pieds, avec leurs tentacules du vice, nos 7 milliards de confrères.

La solitude n’en est que plus amère.

Regardez les chanteurs à texte de nos jours, regardez comme on les traite de marginaux et de malheureux, regardez comme on ne les comprend pas, ce sont pourtant les grands poètes d’hier...

Quel désarroi, et les sociétés débordent de pauvres types sordides, imbéciles niais, qui se prennent pour des hommes d’exception, et de connasses écervelées, moches à en crever sous leurs grands airs, à qui on accorde de la valeur. La société grouille de termites pesteuses et infectieuses. Bien inutiles.

Il n’y a plus rien à faire.

Alors laissez-moi, je vous prie, entre mes murs. Car je suis lâche face à l’horreur.

Ne m’attendez-pas. Ne me cherchez pas. Vous ne serez jamais les êtres de mes fantasmes, ces héros d’autrefois qui donneraient un sens à ma vie, me comprendraient, vous savez, il y en a eu. C’était autrefois. Aujourd’hui le monde ne fait plus que des babouins ridicules, bons qu’à gigoter dans tous les sens pour se sentir vivants. Manger des bananes, se chercher des poux, manger les poux, et se sentir les meilleurs. Les meilleurs babouins. L’humain d’aujourd’hui est désolant, débordant d’incompétence, ennuyeux, rares sont les âmes qui se diffèrent ne serait-ce qu’un peu de cette masse grouillante et si peu créative.

Bref, vous ne m’intéresserez sûrement jamais. Cela ne me fait pas plaisir. Et même si vous apprendriez beaucoup de moi, je vous ferais sans doute plus de mal que de bien, car je suis impitoyable avec la bêtise, surtout celle qui est volontaire et assumée. Laissez-moi seule, je n’ai pas peur. Mais lisez-moi.

Je sais que vous ne m’oublierai pas. Je suis le genre de fille qui marque les esprits, ça me transcende, c’est comme les traces de pas dans le ciment frais, je n’y peux rien, je tamponne les vies et mon cachet est d’une encre insoluble, j’entre dans vos esprits et dessine sur votre cerveau les contours de ma pensée, je fais mes gammes dans vos têtes et mes symphonies y retentissent à jamais. Vous qui croisez mon chemin, si je vous aime un peu, écoutez la musique. Mes paroles comme le bruit fracassant de mes doigts qui cognent contre vos tympans deviendront un jour votre vérité. N’ayez crainte, tout ceci n’est que poésie.

Si vous m’oubliez, peu importe, je m’en fiche, car grains de sable ici-bas, quand on est mort, que reste-t-il ?

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